L’objet des différentes instances représentatives du personnel (IRP), tel que défini par le Code du Travail, peut entretenir une confusion sur le rôle et les prérogatives de chacune d’entre elles. Il nous a semblé important de revenir sur leur champ d’intervention respectif.
Aux termes de la loi, les Syndicats ont pour objet la défense des droits et des intérêts des salariés (C. trav., art. L 2131-1), alors que le Comité d’entreprise a pour objet d’assurer leur expression collective, permettant la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions de l’employeur (C. trav., art. L 2323-1). Le CHSCT contribue à l’amélioration des conditions de travail, ainsi qu’à la protection de la santé mentale et de la sécurité des salariés de l’établissement (C. trav., art. L 4612-1). Il a également pour mission de veiller à l’observation des prescriptions législatives et réglementaires en matière d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Alors que les Délégués du Personnel ont pour mission de présenter aux employeurs toutes les réclamations dans ces mêmes matières (C. trav., art. L 2313-3), et que la juris-prudence considère que le Délégué Syndical peut contrôler les conditions de travail des salariés où qu’ils se trouvent employés (Crim., 5 oct. 1982). Ces recoupements des champs de compétences sont accentués par le fait qu’un même salarié peut détenir plusieurs mandats. Enfin, et dans le même ordre d’idée, en l’absence de CE ou de CHSCT, les DP se voient confier une mission supplétive, qui peut les conduire à exercer un bon nombre des missions et prérogatives de ces deux IRP et, dans les entreprises de moins de 50 salariés, un DP peut être désigné DS.
Pourtant, le rôle et les prérogatives de chacune des instances sont bien distincts et leur coopération, d’ailleurs prévue par la loi, est dans la pratique un gage d’efficacité.
1) Un rôle et des prérogatives distincts |
Schématiquement, le rôle et les prérogatives de chacune des IRP (Instances Représentatives du Personne) sont les suivants :
le CE (Comité d’Entreprise) contrôle la situation économique de l’entreprise et son évolution, et a le monopole de la gestion des activités sociales et culturelles.
le CHSCT (Comité Hygiène, Sécurité et Conditions de Travail), au travers d’enquêtes et d’inspections, formule des propositions pour améliorer l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail.
le DS (délégué syndical) porte les revendications de son organisation, qu’il représente auprès de l’employeur et des autres instances représentatives, et négocie les accords d’entreprise ou d’établissement. Il est aussi l’intermédiaire et le défenseur de ses collègues auprès de l’employeur.
les DP (délégués du Personnel) formulent auprès de l’employeur des réclamations individuelles ou collectives. Dans la pratique, elles n’ont pas toutes les mêmes prérogatives et outils d’intervention.
Le RS (représentant syndical) au CE et le DS au CHSCT apportent leur vision syndicale au niveau de l’instance. Il est désigné par ses instances nationales, qui en informent l’employeur.
• Négociation et conclusion des accords : Seules les organisations syndicales, à travers le DS qu’elles ont désigné, peuvent négocier ou conclure des accords collectifs d’entreprise (C. trav., art. L 2232-11 et suivants). Le CE peut également conclure des accords, dits “atypiques”, mais qui s’apparentent à des engagements unilatéraux de l’employeur, que ce dernier peut remettre en cause plus facilement.
• Réclamations et revendications : Les DS présentent des revendications pour l’élaboration de nouvelles règles, alors que les DP présentent des réclamations individuelles et collectives en vue de l’application des normes existantes.
• Informations et consultations : Le CE est bien sûr la principale instance d’information et de consultation (C. trav., art. L2323-1) ; et le CHSCT doit être consulté sur tout projet de l’employeur entraînant des conséquences sur l’hygiène, de sécurité et les conditions de travail. La loi réserve certaines consultations aux DP : en matière de congés payés, sur le reclassement des salariés déclarés inaptes à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
• Le recours aux experts : Le CE peut notamment recourir à l’assistance d’un expert comptable pour l’examen annuel des comptes et des comptes prévisionnels, en cas de licenciement collectif pour motif économique ou d’introduction de nouvelles technologies et lorsqu’il exerce son droit d’alerte. Le CHSCT peut lui aussi faire appel à un expert agréé lorsqu’un risque grave est constaté dans l’établissement ou bien en cas de projet important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail (C. trav., art. L 4614-18).
• Droit d’alerte : Le CE dispose d’un droit d’alerte lorsqu’il a connaissance de faits de nature à affecter de manière préoccupante la situation économique de l’entreprise (C. trav., art. L 2323-78). Par ailleurs, si un DP constate qu’il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale, ou aux libertés individuelles dans l’entreprise, il peut saisir l’employeur (C. trav., art. L 2323-3).
• Saisine de l’Inspection du Travail Toutes les IRP peuvent s’adresser à l’inspection du travail pour requérir son intervention auprès de l’employeur, dès lors qu’elles constatent la violation de prescription légales ou réglementaires, et notamment d’entrave à leur fonctionnement.
• Action en justice Là encore, chaque IRP peut agir en justice pour faire respecter ses propres prérogatives, notamment sur le terrain du délit d’entrave. Les organisations syndicales peuvent en plus agir pour faire contrôler la légalité des accords collectifs signés ou en assurer l’application (C. trav., art. L 2262-1 et L 2262-12). Elles peuvent en outre agir au nom du salarié après l’en avoir informé, s’il n’a pas manifesté son refus (action en substitution), quand sont violées des dispositions conventionnelles, des règles relatives au licenciement pour motif économique, aux contrats précaires, au statut des travailleurs étrangers ou des travailleurs à domicile, à la sous-traitance et au prêt de main d’œuvre illicite ou encore quand les principes d’égalité professionnelle et de non discriminations sont en cause. Les organisations syndicales peuvent également si elles obtiennent l’accord écrit de l’intéressé agir en justice en cas de harcèlement sexuel.
2) La coopération entre les IRP |
Les DP peuvent communiquer au CE ou au CHSCT des suggestions et observations du personnel sur les questions rentrant dans leur champ de compétence respective (C. trav., art. L 2313-3).
le CHSCT joue un rôle d’expertise à l’égard du CE ou des DP, qui peuvent lui confier des études sur toutes les questions de sa compétence.
le Représentant Syndical auprès des différentes IRP est le porte parole, avec voix consultative, de son organisation syndicale au sein de ces instances.
Cette coopération est indispensable, et chaque IRP doit en prendre l’habitude, afin de :
• Faire circuler l’information : Le CE est destinataire de très nombreuses informations qu’il reçoit aussi bien dans le cadre des consultations obligatoires dont il fait l’objet, que de la mission de son expert comptable, indispensables au travail des autres instances : le rapport annuel d’ensemble ; le rapport d’activité du Médecin du Travail ; celui sur la gestion prévisionnelle de l’emploi ou encore celui sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ; le bilan social ; le bilan du travail à temps partiel ; le plan de formation ; etc. Ces informations sont complétées par celles dont sont destinataires les DP, ou bien auxquelles ils ont accès (registre unique du personnel, contrats de mise à disposition du personnel intérimaire, etc.) Les DS sont destinataires du projet de bilan social, des accords collectifs, du rapport annuel sur la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des hommes et des femmes, etc. Enfin, le CHSCT reçoit le programme de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail, le bilan sur l’hygiène, la sécurité et les conditions de travail et le document unique de sécurité.
• Coordonner les actions : Dans la pratique, les projets et décisions de l’employeur ont des incidences dans l’entreprise qui dépassent le champs de compétence de chacune des IRP, qui doivent donc, pour être efficace, intervenir ensemble et se coordonner. A titre d’illustration, et s’agissant des situations les plus fréquentes, l’articulation des interventions de chaque IRP se présente de la façon suivante :
* En matière de réorganisation de l’entreprise : le CE doit bien évidemment être consulté au titre de l’article L 2323-1 du Code du Travail. Toutefois, si la réorganisation emporte, ce qui est souvent le cas, des modifications dans l’organisation du travail, dans les conditions de travail ou risque d’avoir des incidences en matière d’hygiène et de sécurité, le CHSCT doit également être informé et consulté.
* En cas de licenciement économique : bien sûr, le CE est destinataire d’informations fondamentales et dispose de prérogatives étendues dans le cadre de sa consultation. Mais, lorsque les licenciements économiques n’ont pas pour corollaire une baisse proportionnelle de l’activité de l’entreprise, le CHSCT doit être vigilant sur la façon dont les gains de productivité seront obtenus, et notamment sur leurs effets sur les conditions de travail et la santé au travail. Les DP auront quant à eux à relayer les réclamations individuelles des salariés impactés par ces mesures, tant en termes de mobilité que de modifications des conditions de travail. A un moment où les salariés sont en plein désarrois et recherchent des solutions individuelles, les DS ont le devoir de porter la voix de l’intérêt collectif et de la défense de l’emploi.
* En matière de salaire : Le CE dispose d’une compétence générale en la matière, et doit obligatoirement être consulté sur la structure et le montant des rémunérations. Les informations qu’il recueille doivent être transmises aux DS amenés à négocier sur les salaires dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire, et ces derniers doivent communiquer au CE les informations qui lui sont remises à cette occasion. La réflexion et l’action des organisations syndicales sont à cette occasion également nourries par les réclamations qu’ont pu former individuellement des salariés ou des groupes de salariés sur leur situation salariale, et qui sont transmises par les DP.
* Souffrance au travail : Les situations de souffrance au travail, qualifiées ou non de harcèlement, sont souvent difficiles à combattre pour les DP, même s’ils disposent d’un droit d’alerte qui oblige l’employeur à enquêter en leur présence, et à prendre les mesures pour les faire cesser. Le travail en commun avec le CHSCT qui peut désigner un expert, lorsque ces souffrances au travail révèlent un véritable “risque” devient alors indispensable.
* Assistance aux salariés : le DP ou le DS peut être l’interlocuteur privilégié pour informer, pour diriger vers la DIRRECTE ou le Médecin du travail, pour négocier avec l’employeur des situations particulières (rupture conventionnelle) ou pour le défendre (Conseil de discipline en entreprise).
Ainsi, si le rôle et les prérogatives de chaque IRP se recoupe parfois, aucune ne peut prétendre assurer à elle seule une représentation du personnel couvrant toutes les problématiques de l’entreprise. Toutes doivent être présentes et actives et seule leur intervention conjointe permet de mesurer tous les enjeux et d’assurer un véritable contre pouvoir face à l’employeur.
3) Les possibilités de cumul de mandats |
mandat / Instance | DP | CE | CHSCT |
DS | x | x | x |
Elu DP | x | x | x |
Elu CE | x | x | |
Tout autre salarié | x |